Bien que quiconque puisse souffrir d’épuisement au travail, ceux qui travaillent avec des personnes en détresse risquent davantage. Les professionnels des services d’aide peuvent également éprouver une « fatigue compassionnelle« , devenir de moins en moins motivées et capables de gérer les souffrances. Pour se protéger, ils peuvent alors commencer à mettre un mur entre leurs souffrances et les souffrances d’autrui. Mais c’est le meilleur choix?
Une nouvelle étude visait à répondre à cette question en examinant l’empathie, le burnout et la fatigue compassionnelle chez des policiers qui travaillent avec des victimes de viol et d’agression sexuelle.
Leur travail exige en effet une énorme empathie. Si les victimes considèrent que l’enquêteur est empathique, il est plus probable qu’elles « poursuivent le processus judiciaire et qu’elles se présentent devant les tribunaux« , remarquent les auteurs David Turgoose, Naomi Glover, Chris Barker et Lucy Maddox de l’University College de Londres. Mais les policiers peuvent en payer le prix pour ce travail d’écoute des agressions sexuelles, en subissant un traumatisme secondaire (ou vicariant).
L’étude, publiée dans la revue Traumatology, a examiné 142 policiers britanniques d’unité spéciale qui travaille avec des victimes. Les agents ont noté leur niveau de fatigue compassionnelle, d’épuisement professionnel (fatigue émotionnelle et psychologique) et leur état de stress traumatique secondaire (symptômes liés au SSPT, PTSD en anglais).
Les chercheurs ont également mesuré les niveaux d’empathie globale de ces policiers en utilisant un questionnaire qui comprenait des déclarations telles que « je peux dire quand d’autres sont tristes, même s’ils ne disent rien« .
Les chercheurs ont trouvé un lien significatif entre l’empathie et l’épuisement professionnel: les officiers ayant une empathie plus grande vivaient un niveau inférieur d’épuisement professionnel.
« Les résultats semblent soutenir l’idée que s’engager avec empathie avec les victimes pourrait servir de facteur de protection contre le burnout« , écrivent les auteurs. Une explication possible serait que l’empathie peut rendre leur travail plus empli de sens (une idée qui a déjà été proposée dans d’autres études sur des médecins).
Ainsi, les chercheurs n’ont pas constaté que les policiers les plus empathiques avaient une plus grande fatigue compassionnelle ou un traumatisme secondaire. Ces résultats sont à l’opposé d’arguments récents contre l’empathie; en effet, des études antérieures avaient montré que les personnes hautement empathiques risquaient d’avoir plus de fatigue compassionnelle et que celle-ci pourrait même réduire l’empathie envers les autres.
Contrairement aux attentes, les niveaux de fatigue compassionnelle et d’épuisement signalés par les agents n’étaient pas élevés. La plupart avaient des niveaux moyens d’épuisement professionnel et un impressionnant 84% avaient un faible score de fatigue compassionnelle. Et près des trois quarts des policiers ont montré des niveaux faibles ou modérés de stress traumatique secondaire.
C’est peut-être une bonne nouvelle. Mais il faut souligner une limite de cet échantillon de policiers : le participant moyen de cette étude n’avait pas travaillé avec des victimes pendant très longtemps, soit moins de deux ans.
En outre, lorsque les chercheurs ont tenu compte du temps passé à travailler dans cette unité spécialisée, ils ont constaté que les anciens avaient plus de fatigue compassionnelle, d’épuisement professionnel et de stress traumatique secondaire que les nouvelles recrues. Ils n’avaient pas constaté le même schéma en comparant les symptômes aux années d’expérience dans la police générale. Cette constatation suggère que « quelque chose spécifiquement lié au travail avec les victimes de viol augmente la fatigue compassionnelle, le stress traumatique secondaire et l’épuisement au fil du temps« , concluent les chercheurs.
Si l’empathie réduit réellement l’épuisement, elle pourrait être très utile pour ces officiers et pour les victimes.
Notons que les auteurs eux-mêmes estiment que la méthodologie de leur étude n’a pas permis de tester explicitement cette relation causale. Ainsi, il serait possible que l’épuisement entraîne une diminution de l’empathie.
De nouvelles études longitudinales sont nécessaires pour mieux évaluer si l’empathie protège effectivement les agents contre l’épuisement professionnel. De telles études pourraient également déterminer la probabilité que les policiers travaillant pendant des années avec des victimes de viol finiront par souffrir de burnout, de fatigue compassionnelle et/ou de traumatismes secondaires.
Dans le cadre de l’étude, les chercheurs ont encore inclus une courte formation sur la reconnaissance des signes de stress, d’épuisement professionnel et de fatigue compassionnelle, ainsi que diverses stratégies d’entraide (soutien social –peer support– et techniques de relaxation). De nombreux participants ont trouvé cette formation utile, et certains ont même indiqué qu’ils avaient commencé à pratiquer la pleine conscience (mindfulness) par la suite.
Laissons le mot de conclusion à un policier : «Je suis heureux d’apprendre ce qu’est la fatigue compassionnelle et de réaliser que je ne suis pas bizarre».
Source: Empathy, Compassion Fatigue, and Burnout in Police Officers Working With Rape Victims, Turgoose David, Glover Naomi, Barker Chris et Maddox Lucy in Traumatology, Mar 02 , 2017.
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